« Madame Hayat » (4) , le volet philosophique.

On voit bien dans quel monde en ébullition, l’auteur a écrit son roman: prison, état totalitaire, société en état de décomposition.
L’existence n’est pas simple et amène l’auteur Ahmet Altan à se poser bon nombre de questions sur l’homme: la vie, les décisions humaines, le malheur, les violences, les guerres…
En parallèle des histoires d’amour l’auteur réussit à nous imprégner de l’autre monde et chercher une logique à la raison d’être de l’homme “dans un univers de guerres infinies, d’amours, de jalousies, de maléfices et d’ambitions dévorantes”

Ce roman est donc, aussi, un véritable cours de philosophie,  voici quelques idées que j’ai pu relever

Puis il fut question de Shakespeare : to be or not to be.
— C’est donc ça, dit-elle, le secret de l’homme… Choisir entre la vie et la mort ?
— Je crois que c’est davantage sur l’indécision humaine que la phrase veut insister.
— L’indécision ? Ils sont plutôt très décidés, les humains que je connais.

« Nous étions une famille unie, belle, heureuse. Mais on n’apprend pas grand-chose sur l’existence, dans les familles heureuses, je le sais à présent, c’est le malheur qui nous enseigne la vie. »

« La vie et la mort s’arrêtent ensemble quand on meurt… Seuls les vivants ont peur de la mort.« 

— Mais…
— Pas de mais. C’est comme ça. Quand tu as vu les choses en face une fois, tu ne peux plus fermer les yeux, c’est fini.
Ça explique d’ailleurs pourquoi les gens préfèrent rester aveugles…

Nermin et Kaan sont toujours en prison. On ne sait pas exactement quand ils sortiront. Nous parlons souvent d’eux. Je crois en tout cas qu’après avoir vécu tout ça, j’ai trouvé une réponse à la question de monsieur Kaan sur les clichés et le hasard : naître est un cliché, mourir est un cliché. L’amour est un cliché, la séparation est un cliché, le manque est un cliché, la trahison est un cliché, renier ses sentiments est un cliché, les faiblesses sont un cliché, la peur est un cliché, la pauvreté est un cliché, le temps qui passe est un cliché, l’injustice est un cliché… Et l’ensemble des réalités qui déchirent l’homme tient dans cette somme de clichés. Les gens vivent de clichés, ils souffrent de clichés, ils meurent avec leurs clichés.
Quant à déterminer l’heure de leur naissance, celle de leur mort, la personne dont ils tomberont amoureux, celle dont ils se sépareront, celle qui leur manquera, le moment où ils auront peur, et s’ils seront pauvres ou non, c’est le hasard. Et lorsqu’un de nos proches est malade, qu’il meurt, ou lorsqu’on nous quitte, enfin lorsque le terrible “hasard” nous tombe dessus, le pouvoir du cliché recule. Tissés de hasards, nos destins nous empêchent de voir que ce qui nous arrive n’est qu’une longue suite de clichés . Et comme se révolter contre les clichés n’a aucun sens, c’est contre le hasard que nous nous révoltons, c’est à force de nous répéter “pourquoi moi”, “pourquoi elle”, “pourquoi maintenant”, que les choses prennent une signification.

Je n’arrivais à concevoir ni les actes des hommes ni le silence de la société, je ne pouvais plus vraiment comprendre les vivants.

Dans la mythologie comme dans la religion, dit un jour Sıla, tout commence par la violence. Regarde Ouranos, le père des dieux, qui engrosse Gaïa, la déesse-terre, pour être ensuite émasculé par son fils Cronos. La mythologie débute par un fils qui coupe les testicules de son père. Puis c’est au tour de Zeus, le fils de Cronos, de tuer son père. Voilà l’enfance de la vie pour les Grecs… Dans la religion, la même violence : Adam et Ève sont chassés du paradis, et aussitôt l’un de leurs fils tue son frère parce qu’il ne voulait pas partager avec lui. Pourquoi, à ton avis, toutes les légendes humaines commencent par une telle violence ?
-Probablement à cause de la peur.
Pour nos ancêtres la vie devait être minée par la peur, les animaux sauvages, les catastrophes naturelles, la faim, le froid… Sans doute voulaient-ils un sauveur encore plus fort, plus violent, plus terrifiant que ces réalités quotidiennes. Alors ils ont imaginé une puissance capable de faire peur à ce qui leur faisait peur

« D’ordinaire écrasé sous les lourdes ailes du passé et du futur, et jamais véritablement vécu à cause des nécessités qu’on sent peser sur lui, le “moment présent”, ce noyau du temps qui passe, s’affranchissait du passé comme de l’avenir pour devenir la mesure infinie de l’existence. Les souvenirs d’hier disparaissaient avec les inquiétudes du lendemain, la vie tout entière ne formait plus qu’un seul et immarcescible “présent” .

Pour conclure: « Madame Hayat » est  un roman multi-dimensionnel, un beau roman d’amour, une véritable leçon sur les malaises humains, sur le mal de vivre, sur la raison d’être et les limites de l’humain.

Note: 10/10 sur l’échelle RG, une note que je n’ai jamais accordé me semble t’il  à aucun écrivain ou roman, peut être suis je influencé par la crise et le totalitarisme sanitaire qui s’empare de la planète et j’arrive à la conclusion de l’auteur:
« Je sais que ma raison, incapable d’établir le vrai du faux, ne triomphera jamais de ces sentiments qui rendent la raison dérisoire. »

Un roman fantastique, un chef d’œuvre, je n’ai pas les mots … pour le dire mais les les mots pour le lire.

Bravo et merci Ahmet Altan, nous ne pouvons que tirer  notre chapeau devant ses combats contre le totalitarisme d’Erdogan. Son combat est le notre.

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