Une fois de plus je découvre un écrivain israélien via la version française.
Son dernier roman s’intitule “la dernière interview” et Nevo à travers des questions- réponses y évoque un peu son meilleur ami hospitalisé, un peu ses enfants et beaucoup et surtout sa femme Dikla, je dirais son obsession, sa belle Dikla, et à travers elle sa vie d’homme et d’écrivain depuis l’armée à ce jour où une rupture avec sa compagne semble inévitable.
Chaque interrogation de l’interview l’amène à s’ouvrir sur le couple qu’il forme avec Dikla
“Je n’ai permis à personne d’être aussi proche de moi que je l’ai permis à Dikla. Son seul nom me fait fondre.
Je ne peux pas m’endormir sans sa présence, me lever sans elle, tomber sans elle, retrouver mon chemin dans le labyrinthe des miroirs déformants sans elle.”
Je ne sais où est le biographique et où commence la fiction car Navo vit en réalité avec sa femme à Tel Aviv, mais ce sont son humour, sa sincérité, sa prise de conscience, son imagination qui font la force de son roman. On peut aisement s’identifier à l’écrivain dans son récit sur la vie conjugale, cette longue vie commune qui commence par le grand amour à 18 ans et le fait de vivre avec la même femme, X fois 18 ans, X étant une variable aléatoire.
La clé du bonheur:
« Fondez une famille le plus vite possible, kid. Le mariage, ça n’est pas une prison, comme les gens le croient à tort, c’est la liberté de cesser de chercher l’amour. Mais il faut bien choisir, son, et le critère, c’est la souplesse. Une compagne accommodante, voilà la clé du bonheur, et les enfants – les enfants, c’est l’œuvre la plus originale qu’un individu réalise dans son existence, les enfants enrichiront votre créativité, ils ne l’abîmeront pas, trust me… »
La lassitude:
« Tu te souviens que je pars en Colombie dimanche ? lui ai-je dit la semaine dernière.
— Oui. »
Autrefois, ce « oui » préludait à de la nostalgie. Autrefois, ce « oui » signifiait : tu vas me manquer.
Cette fois, ce « oui » avouait : c’est plutôt bien que tu t’absentes un peu. Honnêtement, tu commences à me lasser.
La mutation:
Je ne suis pas un enfant. Je sais qu’en fin de compte l’énergie entre deux individus est condamnée à muter : loi intangible de la physique. Je l’ai constaté chez d’autres couples et, en fait, je savais que cela nous arriverait un jour ou l’autre
L’usure:
Tu sais ce qui est difficile dans le fait de vivre avec la même femme pendant des années, Carméli ?
Aucune idée, mon pote, je n’ai jamais connu ça.
Que le regard qu’elle porte sur toi se fatigue. Se fait de plus en plus terne.
Je ne te comprends pas. Qu’est-ce que tu veux ? Qu’on t’admire ?
Un peu.
Le refuge:
Je pense que chaque individu marié est condamné, en fin de compte, à imaginer une aventure extraconjugale
La nostalgie:
Avant, nous tombions malades en même temps. Nous n’avions alors que Shira comme enfant. Ma mère venait et l’emmenait, et nous restions seuls tous les deux. Entourés de mouchoirs en papier. À tousser. Brûlants de fièvre. Nous préparant du thé au citron.
Nous racontant des rêves bizarres. Riant aux éclats. Toussant encore. Heureux.
Enfin qq citations intéressantes sans rapport à sa compagne;
“Ce qui compte dans des cas pareils, c’est pas le pouvoir de la mort, mais la force de la vie. Et votre fils possède une puissante force de vie
Sur l’écriture:
l’essence de l’écriture incarne la tentative de donner une voix à autrui
Sur l’écrivain:
Lorsqu’un écrivain n’écrit pas, il est déboussolé et inquiet et, lorsqu’il écrit, il est replié sur lui-même et inquiet.
Sur les rapports israelo-palestiniens:
À mes yeux, il n’y a pas des bons et des mauvais dans cette histoire, uniquement des forts et des faibles
Sur les jeunes:
dix-huit ou vingt ans et des poussières, me plaît ; j’aime bien parler à des jeunes de cet âge.
Ils sont encore malléables. Leur esprit est encore ouvert
Sur le bonheur:
Qu’à partir d’un certain âge, c’est plus difficile d’éprouver du bonheur
Enfin sur le monde actuel ,
Et l’univers déborde de menteurs aujourd’hui, le mensonge est devenu la monnaie planétaire d’échange
et cela a été écrit avant le Corona et les dernières élections américaines
Touchant par sa sincérité et son auto-prospection, écrit simplement mais judicieusement si l’on veut fuir notre réalité 2021 Covid-19
Les livres représentent parfois – pour les lecteurs et pour les auteurs – un puits où se terrer.
Et cette interview aussi est une sorte de puits.
Où ignorer ce qui se passe à l’extérieur
Note: 7.5 sur l’échelle RG