Nancy Houston est née en Alberta, anglophone d’origine elle est devenue plus francophone que les parisiennes de naissance.
Son dernier essai est un recueil de notes du début de période du corona, mars-avril 2020, periode de crise, de blocage, de pensée en berne, notes publiées méli-mélo dans divers journaux en France et au Canada.
Pensée en berne certes mais suivi par une prise de conscience du pourquoi/comment nous en sommes là aujourd’hui, ça nous est pas tombé du ciel comme cela un beau matin, il y avait des prémisses nous n’avons pas su les voir. Mea Culpa de Nancy mais c’est nous tous qui sommes concernés, fautifs, coupables mais les dominants sont mille fois plus coupables !
Les premières nations canadiennes ou les indiens si l’on préfère, avec les découvertes récentes fosses communes où ces indiens ont été assassinés , tout devient plus clair:
“On vous racontait l’histoire du père Albert Lacombe, missionnaire oblat qui avait passé de longues années non seulement à évangéliser et à convertir les sauvages, mais aussi à apprendre leurs langues et à se familiariser avec leur culture, justement pour mieux les évangéliser et les convertir”
“Ce n’est que plus tard, en percevant la catastrophe vers laquelle nous conduisent nos certitudes arrogantes – désacralisation de la terre, épuisement des sols, extinction et massacre des animaux, pollution de l’air, des rivières, des océans, obésité galopante, diabète, maladies respiratoires, pandémies planétaires –, qu’il vous viendra à l’idée de retourner, doucement, intérieurement, sur la pointe des pieds, aux légendes et aux croyances des Premières Nations, et de vous dire… Ah bon ?”
Nous sommes tous coupables !
“Sous nos yeux, à notre corps défendant, le monde est devenu cette grosse boule d’interdépendances maladives, où les riches exploitent, affament, et assassinent les pauvres et rendent les classes moyennes dépendantes de toutes sortes de produits criminels à l’apparence innocente. Nous sommes coupables dès que nous nous levons le matin : d’où viennent les oranges de notre jus d’orange, le café de notre café, le chocolat de notre chocolat, et le chrome de la radio que nous allumons pour écouter les mauvaises nouvelles du jour ? Tout en nous affranchissant fièrement des dogmes de la religion, nous nous sommes fabriqué un péché originel bien à notre image : insidieux, omniprésent, hégémonique”
“En clair, le nouveau « rêve chinois » ressemble à s’y méprendre au vieux « rêve américain » : décider tout seul choisir tout seul marcher sur la tête des autres écraser ses semblables prouver qu’on est le plus fort se démener toute la journée et s’arracher le plus de putain de fric possible de la naissance à la mort”
“Pourquoi “réussir sa vie” c’est forcément être riche et célèbre ? “
alors que l’on peut « vivre avec très peu de choses et être heureux »
Nous sommes des bêtes!
“Les humains sont des bêtes qui « se la racontent », des animaux qui ne peuvent survivre sans histoires. Notre grande erreur a été de croire que cela nous rendait supérieurs aux autres animaux et nous donnait tous les droits sur eux : non seulement le droit de les nommer et de les dominer (que confère leur Dieu aux juifs dès le premier chapitre de la Genèse), mais aussi, depuis toujours, le droit de les tuer en masse, de les faire travailler pour nous, de les transformer et de les enfermer, et, plus récemment, de manipuler leurs gènes, de les bourrer d’hormones, de les cloner, de les forcer à se reproduire tout en les empêchant de se fréquenter, de les faire naître uniquement pour mourir et nous nourrir. Nous sommes les seules bêtes méchantes.”
Que nous est-il arrivé à chacun d’entre nous ?
“Comme tous les jeunes adultes, je me suis laissé influencer par les modes, mouvements et modèles qui me semblaient prestigieux et désirables.”
“À New York déjà, conformiste comme on l’est entre dix-huit et vingt ans, j’ai tourné le dos à « la nature » et fait des pieds et des mains pour acquérir « la culture » : régime, habits, coiffure, lectures infinies, cours de danse et de théâtre, cinéma, cigarettes… La disparition des oiseaux était le cadet de mes soucis !”
“Or, pendant ce temps, inexorablement, l’emprise néolibérale se mettait en place”
“Et c’est ainsi que, souriante, ironique, intelligente, pleine de bonne volonté, hypercultivée, encore un peu destroy sur les bords, fumant, buvant, secouant tristement la tête devant la violence de notre espèce, avec d’autres qui me ressemblent, j’ai contribué – largement, tranquillement, stupidement – à conduire le monde au bord du gouffre”
Les dominants !
“Ce ne sont ni les êtres humains ni les hommes en général qui conduisent actuellement à leur perte des millions d’espèces terrestres dont la nôtre, ce sont les hommes dominants. Prenez n’importe quel journal ou revue dans n’importe quel pays du monde, lisez-le, de quoi parle-t-il ? Il parle de ce que font les hommes dominants qui, partout sur la planète, dirigent les pays, les armées, les églises, les multinationales, les villes, les régions, les supermarchés, les usines, les syndicats, les commissariats, les journaux, les bourses, les maisons d’édition, les chaînes de télévision, les entreprises, les universités, les instituts de recherche et les centrales nucléaires”
Et la nature, bordel !
“Seuls à parler, nous avons décrété que le Verbe était au commencement de tout et créé un Dieu à notre image, pour prétendre ensuite que nous tenions de lui le droit (et même le devoir) de nommer-dominer. Nous en sommes obsédés, obnubilés. Inlassablement, nous nommons et dominons les autres (humains ou non), les traitant d’abrutis, de bêtes, d’animaux, de barbares ou de sauvages”
“de remplacer nos rythmes par des algorithmes, l’humain par le transhumain et notre souffle vital par des bracelets de fitness, nous mettons en place le grand Effacement de toute vie sur Terre”
Mais le vrai monstre est bel et bien le scientifique fou : celui qui bafoue la mort, nie le passage du temps, refuse le caractère fragile, éphémère et interdépendant de la vie, se rêve solitaire, héroïque et tout-puissant, aspire à la domination totale de la « Nature » par l’homme
“En clair, les plus grands criminels ne se trouvent pas derrière les barreaux, mais à la barre : ce sont ces monstres purs, ces hommes qui aspirent à la croissance infinie, à la puissance absolue, au contrôle total, à la vie éternelle et à la richesse folle, qui nous précipitent vers l’apocalypse imaginée par Mary Shelley dans Le Dernier Homme”
Mais tout cela se tient car
« Au commencement était le Mensonge. »
Jonas Mekas
« Parce que l’homme est bête, explique en toute simplicité son personnage, phénoménalement bête »
les Carnets du sous-sol de Fiodor Dostoïevski
Jonas Mekas, Dostoïevski , Nancy Houston me donne envie de découvrir l’un , de relire l’autre . Chiche alors!
Note: 7/10 sur l’échelle RG