« Madame Hayat », seconde dimension: la Turquie du tyran Erdogan 

 

Ahmet Altan a écrit “Madame Hayat” de la prison! Il a été accusé d’avoir participé au putsch manqué de 2016 dans un contexte d’arrestations massives frappant les milieux médiatiques et intellectuels.

C’est sous ce contexte totalitaire que se déroule le roman, avec les problèmes sociaux-politiques de la Turquie du tyran Erdogan, et ce sans que l’auteur n’ait à citer une seule fois son nom.

Mais la force du roman et de l’auteur est à mon avis le fait que l’on peut inverser la Turquie d’Erdogan avec la tyrannie sanitaire mondiale du Covid que l’on traverse aujourd’hui. Chaque citation sur la Turquie d’Erdogan s’applique aussi à nos sociétés occidentales, c’est triste, c’est très grave, c’est tragique !

La société se trouvait dans un tel état de décomposition qu’aucune existence ne pouvait plus se rattacher à son passé comme on tient à des racines.

Une vie que nous croyions ne jamais devoir changer venait de s’effondrer d’un coup, avec une facilité proprement terrifiante. Nous tombions dans un gouffre inconnu, mais la profondeur de ce gouffre, où et quand aurait lieu l’atterrissage, je l’ignorais

 Faire une blague sur le gouvernement est de­­venu un crime. Dorénavant, interdit de blaguer

Encore sous le choc, nous étions en train de comprendre que faire ce que nous avions toujours fait pouvait désormais nous valoir une condamnation, qu’il suffisait d’une blague, d’un bon mot, d’une seule phrase, pour que la police déboule à l’aube et nous embarque. Face au vague et à l’immensité de cette menace nouvelle, il ne nous restait que la peur, une peur muette, collective. Personne ne disait plus rien.

Ils sont capables de tout”, répétait-elle, sans préciser qui était ce “ils”, probablement parce qu’elle-même l’ignorait.

Où que j’aille, la peur désormais surgissait n’importe où.

Mümtaz m’apporta les textes. Ils parlaient de milliers de personnes enfermées en prison, de pauvres gens au chômage, de pressions politiques, de souffrance, d’oppression. C’était comme si j’avais ouvert le couvercle et que la vie réelle sortait de sa boîte, un autre monde, une autre vie. Elle ressemblait à cette chose qu’on appelle l’“enfer ».

Les gens assistaient à tout ça sans réagir.

On n’en parlait ni dans les journaux, ni à la télé, ni à la radio

La haine et la barbarie avaient envahi nos vies. Nous essayions de les refouler tant bien que mal. 

La conclusion est dans la bouche de la belle et jeune Sila, le deuxième amour parallèle de Fazil

« Mais pour ma part je n’en peux plus de ce pays, je n’en peux plus d’avoir peur en permanence, je n’en peux plus d’angoisser en pensant au lendemain, à la prochaine catastrophe qui va nous arriver. Je suis fatiguée d’avoir peur »

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PS: Ahmet Altan a été accusé d’avoir participé au putch manqué du 15 juillet 2016 dans un contexte d’arrestations massives frappant les milieux médiatiques et intellectuels, et incarcéré. 

En juillet 2019, la Cour suprême de Turquie rend un nouveau verdict, cassant les condamnations à perpétuité d’Ahmet Altan. La Cour conclut qu’Ahmet Altan n’a pas commis l’infraction, toutefois, la Cour rejette sa demande de remise en liberté.

Il est libéré en novembre 2019 : « Même si je suis heureux d’être parmi les gens que j’aime, ce n’est pas le moment de jubiler. Il est difficile de recevoir la nouvelle de sa propre libération quand des milliers d’innocents restent injustement détenus ». Il est de nouveau arrêté quelques jours après sa sortie de prison. 

Ahmet Altan est libéré par les autorités turques en avril 2021

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